Nos enfants face aux écrans : déceler et agir contre le cyberharcèlement

Nos enfants face aux écrans : déceler et agir contre le cyberharcèlement

Dans un monde de plus en plus connecté, nos enfants passent une grande partie de leur temps sur Internet. Ordinateurs portables, tablettes, smartphones, forums, réseaux sociaux... Les technologies digitales sont omniprésentes, et les canaux de communication en ligne toujours plus nombreux. De quoi conférer un espace personnel de liberté aux plus jeunes, mais aussi les exposer à divers risques. Parmi lesquels le cyberharcèlement, un fléau qui fait de plus en plus de victimes. Qu'est-ce que le cyberharcèlement ? Comment savoir si mon enfant en est victime ? Quelles sont ses conséquences potentielles et comment y faire face ? Mélanie Josquin, psychologue clinicienne et auteure spécialisée dans l'accompagnement de la parentalité, nous a apporté ses lumières sur ces questions, dans le premier épisode de notre podcast « Nos enfants face aux écrans ».

Portrait experte :

Ancienne professeure, Mélanie Josquin est psychologue clinicienne. Également auteure, elle explore à travers ses ouvrages écrits sous le pseudonyme de Louison Nielman, des thématiques engagées telles que les violences intrafamiliales ou encore le cyberharcèlement.

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Comprendre le cyberharcèlement

Le cyberharcèlement est une forme de violence digitale qui, contrairement à des interactions négatives ponctuelles, se caractérise par des actes malveillants volontaires et récurrents. Il s'agit d'une agression perpétrée par voie numérique ou en ligne, qui se construit dans la durée et vise spécifiquement à déstabiliser la victime. « Le cyberharcèlement est avant tout intentionnel et répétitif, nous explique en effet Mélanie Josquin. Et je vais insister sur le côté répétition. Ce n'est pas parce qu'on reçoit un ou deux messages désagréables d'un camarade qu'on est déjà dans le cyberharcèlement. » Cette distinction aide à mieux comprendre et identifier le cyberharcèlement, permettant ainsi d'y apporter une réponse ciblée.

Le cyberharcèlement : une violence protéiforme

Si tout acte de cyberharcèlement repose sur la répétitivité, la malveillance et le recours à un outil numérique, il peut prendre de nombreuses formes différentes. « Il peut s'agir d'intimidations, d'insultes, de menaces, d'humiliations, de diffusion de rumeurs... », liste Mélanie Josquin.

Au rang des actes constitutifs d'un cyberharcèlement, on compte également l'usurpation d'identité digitale, qui consiste à se faire passer pour une personne ciblée sur les réseaux sociaux ou sur Internet, à des fins malintentionnées. Enfin, le partage de contenu à caractère sexuel sans l'accord de la personne concernée, des photos intimes par exemple, relève également de la cyberviolence et du harcèlement. On parle alors de « sexting » non consenti.

Autant d'actions qui ont pour but de porter atteinte à l'intégrité psychique et émotionnelle de la personne ciblée. Et dont sont malheureusement victimes de plus en plus d'enfants et d'ados. « 28,4 % des collégiens auraient été confrontés à un acte de cyberviolence en 2022 », nous rapporte notre interlocutrice.

Un phénomène qui croit ces dernières années, et dont les effets peuvent s'avérer profonds et dévastateurs. À plus forte raison lorsque les personnes visées sont jeunes. « Elles peuvent souffrir de troubles de l'anxiété, de dépression, et même, dans les pires des cas, de pensées suicidaires », détaille la psychologue. Avant d'insister : « Il est fondamental d'agir rapidement et efficacement pour les soutenir. »

Comment reconnaître les signes de cyberharcèlement chez mon enfant ?

Le cyberharcèlement peut être insidieux et difficile à détecter. Notamment chez les enfants et les adolescents, qui ne révèlent pas toujours ce qu'ils endurent en ligne. Ce qui s'explique parfois par leur manque de recul sur la situation et sur sa gravité. Ou encore par le fait que certains, honteux de ce qu'ils subissent, cherchent à le cacher à tout prix.

Il est donc important de savoir reconnaître les signes et les indicateurs clés pouvant révéler que son enfant est victime de cyberharcèlement.

Les changements de comportement dans l'utilisation des écrans

Le changement de rapport aux écrans et à Internet de l'enfant fait souvent partie des premiers signes visibles tendant à démontrer une situation de harcèlement en ligne.

Votre ado habituellement social et actif passe soudain des heures isolé avec ses appareils ? Un potentiel signe de mal-être, selon Mélanie Josquin : « Pris dans un cercle vicieux, il est complètement submergé, mais ne peut pas faire comme si ça n'existait pas. Alors il lit tout ce qui se dit sur lui. ».

Au contraire, il évite autant que possible de recourir aux technologies numériques ? Peut-être essaye-t-il de se protéger de ce qu'il subit en mettant les écrans de côté.

L'émergence de troubles psychosomatiques

On parle de troubles psychosomatiques lorsqu'une souffrance psychologique déclenche la manifestation de symptômes physiques.

Être victime de cyberharcèlement peut déclencher de tels symptômes chez certaines personnes. « Prendre beaucoup de poids d'un coup ou, au contraire, maigrir soudainement peut témoigner d'une souffrance psychologique sous-jacente, explique Mélanie Josquin. Il en va de même lorsqu'un jeune tombe malade plus souvent que d'habitude : cela peut être la conséquence d'un affaiblissement de son système immunitaire lié à un stress intense ou à une période de fragilisation », poursuit-elle.

Le manque de sommeil peut se révéler particulièrement significatif. La peur, l'humiliation et l'anxiété peuvent engendrer des difficultés à s'endormir. L'apparition fréquente de cernes ou de problèmes de concentration doit vous mettre la puce à l'oreille. Le dialogue avec le corps enseignant est alors primordial, souligne notre intervenante : « Les professeurs vont remarquer l'enfant qui baille, se frotte les yeux ou pique du nez dès le matin de bonne heure, et pourront le signaler aux parents. ».

Le retrait social

Le retrait social de l'adolescent ou de l'enfant est un autre symptôme clé pouvant mettre ses parents sur la piste d'un cyberharcèlement potentiel. Un jeune qui se retire de son cercle d'amis ou qui rechigne à prendre part à ses activités extrascolaires habituelles est un jeune qui se sent peut-être mal à l'aise ou menacé dans ses relations sociales.

Se tenir à l'écart est alors un moyen pour lui de limiter au maximum les interactions avec ses pairs, et donc les risques d'en être la cible. Quand une victime de cyberharcèlement craint que ce qu'elle subit en ligne se concrétise dans la réalité, par des moqueries ou de la violence physique, cela la pousse à se mettre en retrait.

Prévenir et combattre le cyberharcèlement

Pour lutter contre le cyberharcèlement et en protéger les enfants, il est indispensable d'adopter une approche concertée, impliquant tout à la fois les parents, les enseignants, et les ados eux-mêmes. Il est essentiel de créer un environnement où ils se sentent en sécurité et soutenus pour parler de leurs expériences en ligne.

L'importance du dialogue

« Sans que cela ne constitue aucunement un jugement, j'ai pu le constater : moins il y a de dialogue dans une famille, plus c'est compliqué. » D'emblée, Mélanie Josquin l'affirme : pour prévenir ou faire face efficacement à une situation de cyberharcèlement, il est primordial que l'enfant se sente libre de parler, et à l'aise à l'idée de le faire au sein de sa cellule familiale.

En échangeant avec leur enfant autour de ses activités en ligne, en lui demandant s'il a déjà connu ou s'il connaît actuellement une mauvaise expérience sur Internet, les parents sont en mesure de déceler les premiers signes d'une sortie de piste imminente. Mais il est important de ne pas se focaliser uniquement sur les aspects négatifs de la vie digitale de votre enfant, au risque de créer un climat anxiogène autour de la question.

Demandez également à votre ado ce qu'il a connu de positif sur le Web ! Un dialogue ouvert renforcera sa confiance envers vous, il se sentira à l'écoute, et aura alors moins de mal à franchir le pas et à vous faire part d'un éventuel cyberharcèlement dont il serait la cible.

L'éducation et la sensibilisation comme rempart au cyberharcèlement

L'utilisation d'Internet et la manière de se comporter en ligne, c'est comme tout : cela s'apprend. Et s'il ne faut pas diaboliser les écrans, il faut tout de même faire comprendre aux enfants et aux ados qu'ils représentent un danger potentiel s'ils sont utilisés imprudemment.

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Parmi les premiers principes de base à inculquer aux plus jeunes : tout ce qui est publié en ligne ne disparaît jamais vraiment. La méthode la plus sûre pour ne pas voir un contenu se diffuser sur le Net de manière incontrôlable est de ne pas l'y mettre. Il est indispensable de leur apprendre à contrôler leur présence en ligne, et de leur présenter les différents moyens à disposition pour les aider à le faire.

Par exemple, parlez à vos ados des possibilités de signaler les contenus inappropriés, ainsi que des paramètres de confidentialité présents sur les réseaux sociaux. S'ils mettent leurs réseaux sociaux en mode privé, les contenus ne seront pas visibles pour des gens qu'ils ne connaissent pas. Une option à ne pas négliger, surtout lorsque l'on sait que 49 % des problèmes rencontrés sur les réseaux le sont avec des inconnus

Enfin, il est également nécessaire pour les parents de rester vigilants à ce que leur enfant ne soit pas celui qui inflige des cyberviolences. Lorsque l'on est jeune, on n'a pas toujours conscience de la portée et de la gravité potentielle de ses actes. Parfois, un ado ne va même pas se rendre compte qu'il contribue à des violences numériques ! Il faut lui inculquer le respect de l'autre sur le Web et en dehors, et prendre le temps de lui expliquer les répercussions que peut avoir le cyberharcèlement.

« La prévention, c'est aussi ça, abonde Mélanie Josquin. Apprendre à son enfant à se positionner comme un sujet qui va se faire respecter, mais qui va aussi respecter l'autre. »

Une part nécessaire de contrôle parental

Le dialogue et la sensibilisation n'excluent pas le contrôle. S'il faut savoir trouver l'équilibre subtil permettant d'encadrer son enfant sans pour autant l'étouffer, il est indispensable de conserver une certaine maîtrise, même légère, sur ce que son ado fait sur Internet.

Pour notre invitée, mettre en place un contrôle parental pour pouvoir réguler le temps d'écran des jeunes enfants est même la base. De même, elle estime qu'en cas de signes inquiétants ou de suspicion de cyberviolence, les parents doivent pouvoir, avec l'accord de leur enfant, regarder dans le téléphone de ce dernier. « Je ne suis pas en train de dire qu'il faut que les parents sachent tout, tempère-t-elle. L'enfant a le droit et doit avoir un jardin secret. En revanche, il faut aussi pouvoir lui dire « Je te fais confiance, je ne fouillerai pas dans ton téléphone, mais si un jour je remarque un changement de comportement ou un quelconque signe me laissant croire que tu pourrais être en danger, alors je me permettrai de regarder. »

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Là encore, le dialogue et la pédagogie sont primordiaux. Un climat de confiance réciproque facilite ce type de démarche auprès d'un ado.

Collaboration école-famille : un pilier contre le cyberharcèlement

La lutte contre le cyberharcèlement exige une approche collaborative impliquant les familles et les établissements scolaires.

Les enseignants voient les enfants dans un cadre social étendu, et peuvent remarquer des signes subtils de retrait ou de détresse qui échappent parfois aux parents. En reconnaissant ces signaux, ils peuvent agir rapidement pour soutenir l'élève concerné, et tirer le signal d'alarme.

Un professeur peut également se faire le relais de la vigilance parentale pendant le temps scolaire, et ainsi contribuer à confirmer les doutes du père et de la mère de l'enfant.

Enfin, en cas de lien de confiance bien établi entre l'élève et son enseignant, ce dernier peut faire office d'oreille attentive vers laquelle peut se tourner la victime.

Les établissements scolaires ont bien entendu un rôle pédagogique à jouer également en ce qui concerne le cyberharcèlement. Ils doivent mettre en place des programmes de prévention pour sensibiliser les élèves à la cyberviolence et promouvoir un comportement respectueux en ligne.

Que faire si mon enfant est victime de cyberharcèlement ?

En cas de cyberharcèlement avéré de son enfant, il est vital de savoir vers qui se tourner et de réagir vite.

Première chose à faire : s'orienter vers un professionnel de la santé mentale si l'état de la victime l'exige.

Il convient également de prévenir l'établissement scolaire. « Même si la situation n'est pas en lien avec le cercle de connaissances de la victime », tient à spécifier Mélanie Josquin. Un moyen pour les parents de s'assurer qu'un œil bienveillant veillera sur leur ado là où il passe la majorité de ses journées.

Il faut ensuite prendre les mesures légales qui s'imposent. Le cyberharcèlement est puni par la loi, et il convient de le signaler aux autorités.

Enfin, quoi qu'il arrive, les parents de la victime doivent rester calmes, et ne pas céder à la tentation de régler le problème eux-mêmes. Ce genre d'initiative peut engendrer des dérapages, et l'instauration d'un cercle vicieux dont il peut être difficile de se sortir.

N'hésitez pas à engager le dialogue avec vos enfants au sujet de leur utilisation d'Internet. Quels sont leurs sites préférés ? À quels jeux jouent-ils ? Sont-ils sur les réseaux sociaux ? L'échange et la confiance sont les maîtres mots pour détecter les signes de cyberharcèlement. S'ils sont des utilisateurs actifs des technologies numériques, faites leur connaître l'existence du 30 18, un numéro gratuit et anonyme, disponible 7j/7 de 9 h à 23 h, dédié aux victimes de cyberharcèlement. (une appli est également disponible)

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