Nos enfants face aux écrans : agir face à la violence des images

Nos enfants face aux écrans : agir face à la violence des images

Cinéma, télévision, ordinateur, smartphone ou encore console de jeux font dorénavant partie intégrante de notre quotidien. Ainsi que de celui de nos enfants. Plus de la moitié d'entre eux utilisent régulièrement les écrans dès l'âge de 5 ans et demi ! Cette omniprésence est logique au vu de l'évolution et de la démocratisation des technologies digitales, mais elle soulève de nombreuses interrogations. Parmi les inquiétudes qui préoccupent de plus en plus l'esprit des parents, celle de la violence des images auxquelles les plus jeunes peuvent être exposés. Quels sont les impacts potentiels de cette violence sur le développement infantile ? Comment faire face à cette problématique ? La psychologue Sabine Duflo s'est penchée sur ces questions à l'occasion du 3e épisode de notre podcast «Nos enfants face aux écrans ».

Portrait experte :

Psychologue clinicienne et thérapeute familiale, Sabine Duflo assure également des formations et des conférences sur sa problématique de prédilection : les effets du numérique sur les enfants et leur développement. Défendant un usage raisonné des écrans par les plus jeunes, elle étudie l'impact cognitif d'une exposition prolongée et fréquente de l'enfant à ces technologies, ainsi que les effets psychologiques qu'elles peuvent avoir.

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Une influence avérée sur les émotions et le comportement des enfants

« Les recherches l'ont démontré : effectivement, la violence présente dans les films, les séries ou encore les jeux vidéo a des répercussions réelles sur leurs comportements », affirme Sabine Duflo, psychologue spécialiste des effets des écrans sur les enfants. Ainsi, la violence est loin d'être un simple élément passif du paysage de l'enfance. Au contraire, elle impacte directement la santé émotionnelle des plus jeunes, façonnant activement leur perception du monde et leur manière d'y évoluer. « L'exposition répétée à la violence peut mener à une augmentation des comportements agressifs, et à une diminution de l'empathie chez les enfants », précise l'experte. Une transformation qui ne relève pas uniquement du simple changement comportemental. Elle est le reflet d'une modification profonde de l'approche de l'enfant face au monde qui l'entoure.

Des conséquences sur les relations et les interactions sociales

L'exposition à la violence peut avoir trois types d'impacts sur les plus jeunes, dont les conséquences sont susceptibles de perdurer au-delà de l'adolescence. On distingue notamment :

  • Une modification du comportement,
  • Une désensibilisation à la violence,
  • Une altération de l'humeur et du bien-être de l'enfant.

L'exposition à la violence peut modifier le comportement de l'enfant

Qu'elle soit de courte durée ou bien répétée, l'exposition à des contenus violents a pour effet une modification des comportements. Ce qui peut se traduire par une augmentation des comportements agressifs et une moindre tolérance à la contrariété et à la frustration. De plus, les pensées de l'enfant, et la façon dont il perçoit le monde, sont-elles aussi de plus en plus agressives.
De manière concrète, « on fait une interprétation différente d'une même scène selon que l'on a vu ou non un film violent avant », nous précise Sabine Duflo.

Un risque de désensibilisation à la violence et de perte d'empathie

L'exposition d'un enfant à des images inadaptées peut également engendrer une désensibilisation à la violence. C'est-à-dire une banalisation de celle-ci, qui contribue à la normaliser, ce qui peut entraîner une perte d'empathie. De quoi potentiellement éroder les fondements des relations interpersonnelles chez les plus jeunes, comme nous l'explique Sabine Duflo. «La désensibilisation à la souffrance, qui est l'un des effets pouvant résulter de l'exposition des enfants à la violence, peut diminuer leur capacité à se connecter émotionnellement avec les autres. Lorsque je vois quelqu'un qui souffre suite à un coup reçu, normalement, spontanément, j'ai envie de le secourir, poursuit-elle. Mais le fait d'être exposé de manière répétée, soit via des films, soit de manière proactive via des jeux vidéo, à ce type d'image fait que je perds cette sensibilité. »

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Cette altération de l'empathie est particulièrement préoccupante. Car elle touche à l'essence même de notre humanité : la capacité à ressentir et à comprendre les émotions d'autrui.

Un impact sur la santé mentale et le bien-être de l'enfant

Les effets de l'exposition à la violence sur les jeunes dépassent le cadre des comportements, et touchent également à leur bien-être émotionnel, à leur santé mentale. « Une exposition constante à la violence peut engendrer une anxiété accrue, influençant l'humeur et le sentiment de sécurité des enfants et des adolescents », expose Sabine Duflo.

Une anxiété qui peut se manifester de diverses manières, allant d'une inquiétude diffuse à des troubles plus marqués, affectant la qualité de vie et le développement émotionnel de l'enfant concerné. « Il perçoit alors la violence comme étant généralisée, continue l'experte, et imagine un contexte de danger permanent. C'est ce qu'on appelle le syndrome du grand méchant monde. »

Une augmentation de la présence de la violence à l'écran

Des constats qui ont de quoi alarmer, à une époque où l'esprit des enfants est plus que jamais susceptible d'être exposé à de la violence via un écran. « C'est mathématique, détaille Sabine Duflo. Du fait de la normalisation des écrans - téléphones portables, ordinateurs, consoles - le temps d'exposition des enfants à ces technologies, et donc à la violence qu'elles véhiculent, a considérablement augmenté. Et plus ils y sont exposés, plus l'impact sur leur comportement, leurs pensées et leur humeur est important. »

Les enfants peuvent donc de plus en plus être confrontés à des images inadéquates. Mais le degré de violence moyen des images en question connaît, lui aussi, une escalade. « Violence et hypersexualisation sont des artifices de vente. Au sein d'un système marchand concurrentiel, la surenchère fait office d'argument commercial », explique la psychologue.

Une étude parue en 2013 dans la revue médicale américaine JAMA Pediactrics atteste de cette accentuation drastique. En l'espace de 46 ans et de 22 films, la présence de la violence dans les longs-métrages de la franchise James Bond a doublé. Pourtant, depuis le début, ces œuvres ont été catégorisées comme «tout public » ou « déconseillé aux moins de 13 ans » aux États-Unis, et donc, accessibles aux adolescentes et adolescents.

En somme, nos enfants sont de plus en plus exposés à des images de plus en plus violentes, qui impactent de plus en plus leur développement. Une équation insoluble ?

Le rôle primordial des parents

L'impact de la violence sur le développement des enfants et des ados est réel, et le rôle des parents est primordial. « Il est essentiel que les parents soient vigilants quant aux contenus auxquels leurs enfants sont exposés, et qu'ils engagent des conversations sur les effets de ces contenus », affirme Sabine Duflo. L'instauration de ce dialogue ne sert pas uniquement à filtrer les influences négatives, mais aussi à renforcer le lien de confiance et de compréhension entre les parents et les enfants.

« L'idée, ce n'est pas de protéger tout le temps l'enfant pour qu'il vive dans un monde de bisounours, nuance la psychologue, mais c'est d'avoir en tête que nos émotions, elles, sont le moteur et le ressort de notre vie. » Plutôt qu'essayer d'empêcher à tout prix cette exposition à la violence par l'utilisation des écrans, il convient donc d'accompagner son enfant face à ce phénomène.

Procéder à une sélection judicieuse des contenus

Contre l'impact négatif de la violence véhiculée par les écrans, la première précaution concerne le choix des contenus. Avant toute chose, il est indispensable de sélectionner des programmes adaptés à l'âge et au développement de l'enfant. « Il est essentiel de choisir des films et des émissions qui correspondent au stade de développement émotionnel et cognitif de l'enfant, en évitant les contenus qui normalisent la violence ou qui manquent de contexte moral », conseille Sabine Duflo. Cette sélection attentive aide à préserver la sensibilité des enfants, et à promouvoir un développement sain.

Il existe diverses ressources sur lesquelles les parents peuvent s'appuyer dans cette démarche. Des sites comme Films pour enfants, Filmages ou encore la plateforme anglophone Common Sense Media offrent par exemple des évaluations détaillées des films et des séries diffusés au cinéma ou à la télévision, permettant aux parents de prendre des décisions basées sur des recommandations d'âge et des aperçus du contenu. Des outils en ligne qui peuvent grandement faciliter la tâche des parents soucieux, et leur offrir une certaine tranquillité d'esprit.

Éduquer son enfant à une consommation adaptée des écrans

Il est toutefois impossible d'exercer un contrôle absolu sur tous les programmes, les films ou les jeux vidéo auxquels a accès son enfant. S'il faut, dans la mesure du possible, tenter de limiter son exposition à des contenus problématiques, il est avant tout primordial d'apprendre à son fils ou à sa fille à se tourner vers des images adaptées à son âge et à sa maturité. En lui inculquant le recul nécessaire pour juger de ce qui lui convient ou non, on arme son enfant pour qu'il se prémunisse lui-même des risques des écrans.

Utiliser les écrans à son avantage

Certes, les écrans peuvent avoir des impacts négatifs sur de jeunes esprits. Mais ils sont aussi de puissants outils d'apprentissage et de sensibilisation ! Privilégier des contenus qui encouragent l'empathie et la réflexion éveillent, par exemple, leur compréhension et leur sensibilité envers les autres. En choisissant des programmes qui mettent en avant la coopération, l'amitié et la résolution positive des conflits, les parents peuvent utiliser les films, les séries ou les jeux vidéo comme des leviers pour renforcer les compétences socio-émotionnelles de leurs enfants.

Visionnage partagé et instauration du dialogue

En regardant des contenus avec leurs enfants, les parents peuvent observer leurs réactions, leur fournir un contexte, et discuter avec eux des thèmes abordés. Une occasion précieuse d'enseigner aux plus jeunes comment gérer la vision d'images parfois difficiles, et de les initier à l'analyse de leurs réactions émotionnelles face à la violence. Il doit s'agir d'un échange. Les parents, eux aussi, peuvent livrer leurs impressions à leurs enfants, et leur expliquer pourquoi certaines images ont pu les mettre mal à l'aise. Ces interactions ne se limitent ainsi pas à un contrôle parental, mais s'étendent à un partage d'expériences et de réflexions, qui enrichit la perspective des enfants. De quoi renforcer leur résilience face aux contenus violents, tout en approfondissant également le lien parent-enfant à travers le dialogue et la compréhension mutuelle.
Cette démarche permet de développer l'esprit critique du jeune public, et de lui fournir une grille de lecture nuancée des images qu'il regarde.

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« C'est le parent qui décide ou pas d'exposer son enfant à ces images. C'est-à-dire de faire de lui soit un sujet qui peut encore s'émerveiller, réagir, ou bien qui n'en est plus capable », résume Sabine Duflo. Avant de conclure : « Je cite souvent une phrase qui dit que "Chaque être est et devient ce qu'il contemple". Il faut donc toujours se poser la question de ce que je regarde et de l'effet que cela peut avoir sur moi. »

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